Par Philippe Renaud | 11 décembre 2019 – C’est l’une des surprises discographiques québécoises de 2019, et possiblement le meilleur album en carrière de Diane Tell. Paru en octobre dernier, Haïku fut enregistré en France et au Québec sous la direction artistique partagée de Tell et… de Fred Fortin, qui lui a également composé trois chansons inédites. Voici le récit d’un étonnant partenariat.
Fred Fortin l’avoue sans gêne, jamais dans sa vie il n’avait imaginé un jour réaliser un album de Diane Tell. « C’est fou pareil! Une fois l’album terminé, je me suis mis à réécouter des disques de Diane, quelques-uns que j’avais trouvés en vinyle. Ça m’a alors frappé, me suis dit : Ben voyons donc… Comme quoi y’a rien d’impossible dans ce métier-là. »
« C’est vrai que sur papier, une collaboration Fred Fortin – Diane Tell, c’est un truc improbable », reconnaît aussi Diane, rejointe chez elle, dans les montagnes suisses. « Les gens à qui j’en ai parlé m’ont dit : C’est bien bizarre! Et beaucoup de gens se demandaient aussi pourquoi il venait à moi. Or, pourtant, on a plein de choses en commun, plus qu’on l’imagine. Qu’importe le style de musique ou nos carrières, nous sommes tous deux auteurs-compositeurs, on aime aussi travailler en gang et se mélanger. »
« ‘Faut simplement le faire pour les bonnes raisons et pour avoir du fun, abonde Fred Fortin, attrapé en pleine tournée de son album Microdose. C’est juste que, artistiquement, Diane, c’était un match peut-être improbable ? J’avais peur d’y aller. Ce sont les gars qui m’y ont poussé, « ‘Faut que tu le fasses, Fred! » Mes chums m’ont ben crinqué. »
La graine de cette collaboration entre nos deux illustres auteurs-compositeurs fut plantée il y a deux ans par Louis-Jean Cormier, à l’occasion de l’enregistrement d’un épisode de l’émission Microphone qu’il animait. Ils ont passé la journée ensemble à discuter « et avoir ben du fun », assure Fred. Peu après cette rencontre, Diane Tell l’a contacté pour lui demander d’assurer la réalisation de son prochain album. « Ça a pris du temps parce que je n’en avais pas, de temps. Elle a insisté un peu. Je lui ai dit : Regarde, je vais voir si je ne peux pas me libérer avec les gars pour passer un cinq-six jours ensemble et taponner les tounes. »
« On essaie et hop!, on découvre quelque chose de nouveau. C’est très inspirant ça. », Diane Tell
La belle expérience de studio! Ça donne quoi, enfermer Fortin et Tell pendant six jours de temps? Un disque épatant, où l’un élargit son horizon musical, où l’autre accepte de se remettre en danger. « Comme disent les Américains : push the envelope!, commente Diane Tell. Aller toujours plus loin, de manière toujours plus engageante, la musique, les textes, l’orchestration. Parce que je suis productrice : c’est aussi mon travail de voir comment y parvenir, c’est ce qui m’amène là où je n’étais jamais allée » grâce à Fred et sa gang constituée d’Olivier Langevin et Joe Grass aux guitares, de François Lafontaine aux claviers et de Samuel Joly à la batterie.
Selon Diane Tell, « beaucoup d’artistes de ma génération vont réessayer de refaire ce qu’ils ont déjà fait dans leur prime jeunesse. Là, on a travaillé en totale liberté, avec l’envie d’essayer des choses. Quand on veut faire quelque chose de nouveau, il faut changer un peu les ingrédients. On essaie et hop!, on découvre quelque chose de nouveau. C’est très inspirant ça, et c’est pour ça que j’ai contacté Fred. »
Ce qui est particulier de cette collaboration, c’est qu’elle ne concerne pas directement l’écriture des chansons; Fred lui en a offert trois de son côté, alors que Diane avait déjà l’essentiel de cet album coécrit avec le poète Alain Dessureault, l’auteur-compositeur-interprète Serge « Farley » Fortin et l’écrivain Slobodan Despot. La collaboration se trouve essentiellement sur le plan de la direction artistique – le son, l’intention, les orchestrations, qui constituent en effet une forme d’écriture musicale.
Ainsi, le mandat devait se limiter à la réalisation, « mais je m’étais mis dans l’esprit d’essayer d’écrire des tounes pour Diane – à partir des souvenirs assez flous de ce que c’était du Diane Tell parce que j’étais jeune lorsque j’ai connu son travail, explique Fortin. Je n’avais que des références floues de son vieux stock, de ses rythmes bossa-nova », l’inspiration de sa chanson Vie qui ouvre l’album.
Une chanson fameuse, puisqu’on n’y reconnaît pas directement la griffe de Fortin : « J’ai eu vraiment du fun à faire une toune comme ça, qui a même ensuite un peu enligné mes propres affaires », dit-il en faisant référence aux chansons Microdose et Électricité de son récent album, aux influences rythmiques latines/brésiliennes. Ailleurs, c’est Diane Tell elle-même qui pousse l’enveloppe, par exemple sur la longue Spoiler : « C’est Diane qui est arrivée avec la maquette et le beat électronique, la chanson était déjà assez pétée. Nous, on a suivi dans cette vibe-là et jamais elle a pesé sur le break! »
Quant aux deux autres, Chat et Catastrophe, elles portent indéniablement la signature Fortin, dans le texte autant que dans le style mélodique. « Comme vous le savez, il a aussi enregistré la chanson Chat pour son propre album, mais en changeant le titre. Et j’ai trouvé ça fascinant, d’abord parce que nos albums se sont suivis, le mien d’abord, le sien ensuite. Ce qui est extraordinaire, c’est d’écouter la différence entre nos versions. Elles sont presque méconnaissables, et c’est dans cet exemple qu’on voit que, même si la composition est la même, on parvient à reconnaître une signature propre à l’artiste qui l’interprète. »
Candide, Fred révèle ne pas trop savoir pourquoi Diane lui avait confié ce mandat. « J’ose croire qu’elle aimait ce que je faisais. Y’a quelque chose d’assez brut et direct dans ma manière d’approcher ce travail. Puis, j’arrivais avec mon entourage, aussi : je travaille avec du bon monde, y’a de quoi de stimulant là-dedans. C’est trouver le plaisir absolu dans la musique et la faire sans concessions, et je ne crois pas que Diane ait été quelqu’un qui a fait des concessions dans sa carrière. »
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