Diane Tell

Jamais seule

Par Slobodan Despot

 

Haïku. Ce frémissement de brins d’herbe qui contient en lui toute la vibration de l’univers, cette collision de particules de vision et de sens qui fait naître le mouvement du cœur de l’immobilité… C’est le poème qui donne son nom à cet album-mystère et c’est le mystère Diane Tell tout entier.

Soif inassouvie

Comme ta vie me brûle

Du grand large aux sommets

Secrets éperdus

Haïku

Je pourrais parler d’elle au passé. Je pourrais reconstituer sa légende à partir d’archives audiovisuelles où sa grâce éclatante et ses grands yeux clairs jettent dans l’oubli les scènes, les costumes, les années, les festivals et les présentateurs. Je pourrais commencer par fredonner dans la rue l’un ou l’autre de ses tubes sans âge et vous surprendre par la jeunesse et l’étendue de son public. Sans négliger cette foule qui (consécration suprême) connaît par cœur les chansons mais ne retrouve plus le nom de la chanteuse. Entrer deux, trois, quatre fois dans le grand chansonnier de la langue française — où les œuvres d’auteurs et l’héritage anonyme se confondent — n’est pas donné à tout le monde.

Mais je ne connais Diane qu’au présent — un présent qui aura, bientôt, une dizaine d’années. Je l’ai vue, sans façons, improviser un récital dans une cave du Valais, je lui ai proposé sans plus de chichis de venir manger un morceau pour continuer la conversation, et une amitié est née. Nous étions très voisins, moins par la géographie que par les affinités. J’ai découvert une personnalité rare et une destinée plus rare encore dans le monde du show-biz. Diane était arrivée dans les Alpes en tête de pont, avec une ou deux guitares et sa Volvo crème hors d’âge. Diane s’était installée dans un chalet de conte de fées empli d’instruments, de livres et d’espadrilles d’artisan, toutes neuves, pour les amis de passage. Diane m’a dévoilé les secrets d’une carrière sans égale, tant par son exigence que par sa durée et son indépendance.

Sa recette est simple : comme l’escargot, emporter sa forteresse partout avec soi. Diane a la passion de la liberté — de sa liberté. Elle a racheté ses droits musicaux aux « majors » pour devenir sa propre éditrice. Elle compose ses musiques, écrit ses textes, gère ses droits, crée sa stratégie, tourne et monte ses vidéos, transporte son matos quand il le faut. Ne rien devoir à personne est la clef de la quiétude. Ne pas avoir à diluer d’une goutte d’eau le vin de sa poésie est la récompense de cette rigueur.

Moniale solitaire rêvant sur les sentiers alpins, guerrière solitaire roulant sur la route sans fin des tournées, voyageuse solitaire abonnée aux long-courriers transatlantiques. Solitaire et pourtant jamais seule !

Car tu sais à quel point je n’ai aucun regret

Mais je souffre de cette mélancolie

Ainsi ce n’est pas une tragédie

C’est une douce maladie

Que j’entretiens et qui me berce

Sur fond de nostalgie

La mélancolie, disait Victor Hugo, est le « bonheur d’être triste ». C’est ce bonheur rentré, cette soif d’un ailleurs presque cette douce maladie, qui donnait le bourdon (dans les deux sens du mot) aux chants de la poétesse solitaire-mais-jamais-seule que j’ai connue. Jamais seule, Diane, car entourée d’un jardin vivant fait de mots, d’images et de mélodies.

Jamais seule, car toujours bercée et harcelée par cette sœur jumelle tantôt aimée, tantôt maudite, mais toujours inséparable, la mélancolie. Non la stérile mélancolie des psys, la généreuse mélancolie des poètes, source vive et non marécage. Comme elle irradie, comme elle réchauffe, la jumelle, par son intransigeance, son refus du trivial, du compromis, des consolations faciles de la scène ou de la vie.

La solitude de Diane n’est pas une solitude de fatalité, mais une solitude d’élection. Elle ne l’éloigne pas du monde, elle la relie à son cœur même. Et c’est ce lien si invisible, si rare, qui lui permet de créer ses univers poétiques où tout le monde retrouve une part de soi. Ou, à l’inverse, de retrouver une part d’elle dans chaque crépuscule sans retour, chaque visage creusé par les passions, chaque lieu touché par la grâce.

Evolène, Evolène

N’as-tu pas le secret

D’un remède contre mon mal ?

Elle a connu des amours tumultueuses et folles. Elle a connu la gloire, les diamants, la fête sans fin. Elle a connu un temps où la noce sans peur du lendemain et sans arrière-pensées était encore possible. Un temps peut-être plus heureux, mais aussi plus bête. Dans ses musiques aux accents seventies, elle nous en transmet le scintillement, mais nous épargne l’aveuglement. Elle nous rend plus attentifs, plus futés.

Car Diane ne fait pas que composer et chanter. Diane réfléchit, Diane médite et Diane lit. Elle peut vous décomposer le business musical jusqu’au dernier petit rouage. Mais elle peut aussi vous parler de Baudelaire, de Houellebecq ou de Karoo, le plus grand roman américain du dernier demi-siècle.

Je lui suis reconnaissant de cette curiosité. Sans elle, je n’aurais jamais osé, ni même songé, à écrire des chansons. Soyons justes : je n’ai jamais écrit de chansons. Mes trois textes qu’elle a magnifiquement mis en musique sur cet album n’étaient pas destinés au public. Elle les a extirpés de mes tiroirs en me questionnant sur ma vie. Il s’agissait de vers, certes, mais de vers « utilitaires  » avec une destination momentanée: sauver un amour, se reprendre en main, sceller l’union avec l’autre par-delà les sens et la passion.

Nos existences, même silencieuses et humbles, sont toutes faites d’aventures que nous ne savons pas toujours reconnaître et de douleurs que nous refusons d’admettre pour ne pas avoir à les endurer. Ces trois chansons étaient des signes plantés et oubliés au bord de ce chemin tortueux et souvent absurde. En les relevant, en les mettant en son, c’est-à-dire en lumière, Diane a transformé quelques instants très privés en messages pour chacun. Diane, l’abeille solitaire, est une ruche à elle toute seule. Avec sa guitare, sa caméra et ses méditations alpines, elle fait de la grande musique. La musique de l’âme !

Cela aurait pu tourner tout autrement. Elle aurait pu n’être qu’un papillon brûlé par quelques instants de célébrité. Elle aurait pu suivre sans réfléchir les tentations de Pinocchio, écouter les producteurs qui flattent comme dans la chanson de Pink Floyd : «Come in here dear boy, have a cigar, you’re gonna go far, you’re gonna fly high,you’re never gonna die…» Elle aurait pu faire un beau mariage, se caser en animatrice d’un show de variété populaire. Elle aurait pu «à la vie, préférer la mort». Mais elle a choisi la voie solitaire où on n’est jamais seule, disparaître dans la nature et rejaillir où on ne l’attend pas comme une rivière souterraine. Elle se manifeste dans des cafés fréquentés par les guides de montagne. Des témoins affirment même l’avoir vue prendre la forme d’une coccinelle, parmi des milliers d’autres fées, à la dernière Fête des vignerons.

Diane Tell reste fidèle à elle-même en se transformant. Elle trouve son centre immuable dans le mouvement. Elle s’est si bien coulée dans l’autre sexe depuis Si j’étais un homme qu’elle mène une vie d’homme tout en débordant de féminité. Elle compose des chansons sans âge, pour tous les âges, car la musique ni la poésie ne connaissent les dates de péremption. On la chantera encore quand les stars de son temps seront devenues inaudibles. Car elle pense et travaille dans l’avenir. En prenant Tell pour nom d’artiste, elle voyait sans doute déjà cette pomme savoureuse du plaisir immédiat percée par la flèche du manque inassouvissable qui incarne sa fêlure et fait d’elle une grande artiste.

Never Alone

By Slobodan Despot

 

Haiku. The quivering blades of grass contain within them the vibrations of the entire universe, this collision of vision and meaning which gives rise to the stirring of this still heart.. it’s the poem that gives its name to this mysterious album that in itself represents the mystery of Diane Tell.

Insatiable thirst

How your life burns me

From the open seas to the summits

Lost secrets

Haiku

I could talk about her in the past sense. I could piece together her legend from audiovisual archives from which her brilliant grace and large bright eyes cast all the stages, costumes, years, festivals and presenters into oblivion. I could begin by humming one or other of her ageless hits in the streets and surprise you with the youth and breadth of her fans. Let’s not forget the masses who (ultimate veneration) know her songs by heart yet can’t remember the song titles. To enter into the pantheon of great French language entertainers, where the works of famous artists and those of anonymous heritage blend together, and to do so several times over is not bestowed on everyone.

However, I’ve only known Diane in the present –  a present which has lasted almost 10 years. I saw her improvise, without fuss, a recital in a cellar in Valais and I suggested on the spot that she join me for a bite to eat so that we could continue the conversation and a friendship was born. We were close, less by our geographical proximity, than by our affinity. I discovered a rare personality and an even rarer destiny within the world of show-biz. Diane arrived in The Alps on the back foot with one or two guitars and her outdated crème Volvo. Diane set herself up in a fairytale cottage filled with instruments, books and brand-new craftsman’s sandals for friends coming through. Diane unveiled the secrets of her unequaled career, as much driven by her own demands as by its length and independence.

Her recipe is very simple: just like the snail, she carries her fortress everywhere she goes. Diane has a real passion for freedom – her freedom. She has acquired the rights to her music from the major studios in order to become her own publisher. She composes her own music, writes her own words, manages her own rights, creates her own strategy, films and produces her own videos and even transports her own concert gear when needed. To owe nothing to no one is her source of tranquility. To avoid diluting by a single drop the wine of her poetry is her reward for such control.

Solitary nun musing on alpine paths, solitary warrior driving along the road with never-ending bends, solitary traveler surrendering to long transatlantic flights. Solitary but never alone!

You know I have no regrets

Though I suffer from such gloom

It’s no tragedy

But a mild sickness

That has a hold of me

Rooted in nostalgia

 

Victor Hugo said that melancholy is the “happiness of being sad”. It’s that inverse happiness, this thirst for an elsewhere, almost a sweet malady, that gives rise to “the blues” (in the two senses of the word) in the songs of the solitary-but-never-alone poet that I have known. Never alone, Diane is surrounded by a vibrant garden of words, images and melodies.

Never alone, either cradled or harassed by that twin sister, sometimes loved, sometimes cursed, but always inseparable from melancholy. Not the sterile “shrink” type of melancholy, but the generous melancholy of poets, lively source versus swamp. How this twin sister irradiates and warms up through her intransigence, her rejection of the trivial, of compromise and of easy consolations of the stage and of life itself.

Diane’s solitude is not a fatalistic solitude, but rather a solitude of choice. She doesn’t remove herself from the world, but rather connects it to her very soul. And it is this very invisible, very rare connection, which allows her to create her poetic universes where everyone discovers an element of themselves. Or, inversely put, to rediscover an element of themselves in each twilight without return, each face marked by passions, each connection touched by grace.

Evolene, Evolene,

Do you hold the secret

To a remedy against my evil?

She has known tumultuous, crazy loves. She has known glory, diamonds and never-ending parties. She has known a time when nuptials without fear of tomorrow and afterthoughts was still possible. A happier time perhaps, but also one that was dumber. In her music with its 70s stresses, she conveys to us the glistening era whilst sparing us its blindness. She renders us more attentive and smarter.

For Diane does not only compose music and sing. Diane reflects. Diane meditates and Diane reads. She can break down the music business right down to the last gear. But she can also converse about Baudelaire, Houellebecq or Karoo, the greatest American novel of the last half century. I am grateful to her for this curiosity she possesses. Without her influence, I would never have dared or dreamed of writing songs. Let’s be clear: I have never written songs. My three texts that she magnificently put to music in this album were never meant for public consumption. She rooted them out from my drawers in quizzing me about my life. They were verses, to be sure, but practical verses with a sole momentary goal: to save a love, to take control, to seal the union with the other person beyond the senses and the passion.

Everyone’s existence, even though silent and humble, are all made up of adventures that we do not always recognize, and suffering that we refuse to admit so as not to endure them. These three songs were planted, and forgotten, signs on the side of the torturous and sometimes absurd, road. In raising them and putting them to music, that’s to say bringing them to light, Diane transformed several very private moments into messages for one and all. Diane, the solitary bee is a hive all unto herself. With her guitar, her camera and her alpine meditations, she creates wonderful music. Music of the soul!

It could all have turned out differently. She could have turned out to be a butterfly singed by several famous moments. She could have followed in the same temptations as Pinocchio without a second thought, listening to flattering producers like those in Pink Floyd’s song “Come in here dear boy, have a cigar, you’re gonna go far, you’re gonna fly high, you’re never gonna die..” She could have married well, finding a home as presenter of a popular variety show. She could have preferred death to life. But she chose the solitary route where one is never alone, disappearing into the ether and resurfacing in some unexpected place like a subterranean river. She shows up in cafes frequented by mountain guides. Witnesses have even professed to having seen her take the form of a ladybird, among the thousands of other fairies at the last Fete des vignerons.

Diane Tell remains loyal to herself as she transforms. She has found her immutable center in this movement. She has since imbued the other sex and if she were a man she would lead the life of a man overflowing with femininity. She composes ageless songs, for all ages, since music and poetry have no expiration date. We will continue to sing her songs when the stars of her time are no longer audible. Because she thinks and works in the future. In adopting the stage name Tell she no doubt foresaw the insatiability of the momentary pleasure of a tasty apple pierced by an arrow. This failing is what makes of her a great artist.