Auto-entreprendre ou se laisser prendre en main ? Par Diane Tell

Qu’est-ce qu’un auto-entrepreneur ?

Commençons par définir l’entrepreneur[i], qu’il soit auto, micro ou « super-égo ». Fondateur ou pas d’une entreprise qu’il dirige sans en être salarié, son engagement est total, personnel et financier. La palette de l’entrepreneur est très large. Celui-ci peut être créateur, repreneur, franchisé, commerçant, freelance, artiste, artisan, pirate, brigand, de profession libérale, autodidacte ou PHD. Il agit en toute indépendance juridique et sous sa propre responsabilité. Ajoutons que le terme entrepreneur[1] est l’un des rares mots cool français fréquemment utilisé par les anglophones lorsqu’ils causent business pour désigner une personne d’affaire indépendante voire innovante. Homme, femme, ado ou zigoto à la retraite, il est interdit d’exclure quiconque de l’autobusiness. Sous les conglomérats, les nappes phréatiques de la créativité alimentent tout un réseau pas toujours connecté de bêtes assez curieuses pour creuser de force la surface des apparences.

Le terme « micro-entrepreneur » désigne avant tout un statut professionnel particulier avec ses règles allégées, sa fiscalité simplifiée et ses limites imposées. S’il n’a pas de salariés, ce travailleur-entrepreneur-solitaire n’est pas reclus pour autant et peut si besoin bénéficier des services de multiples collaborateurs ponctuels, eux-mêmes indépendants ou salariés de petites ou de très grandes entreprises.


[i] Je ne vais pas, dans cet article, féminiser les termes masculins comme il est d’usage de le faire de nos jours, histoire de ne pas alourdir mon texte. D’avance, je m’excuse si je froisse ainsi qui que ce soit.

[1]Le mot « entrepreneur » a d’abord traversé la Manche à la fin du 15ème siècle (Moyen anglais entreprenour), mais n’a pas perduré.

Pourquoi devient-on auto-entrepreneur ?

Dans notre milieu de l’industrie de la musique, l’auto-entrepreneur est celui qui crée son propre emploi ou gère ses affaires : ses droits, ses contrats, ses initiatives, son patrimoine, son image, ses finances, ses talents et son temps. Soit par nécessité, lorsqu’il s’est fait jeter par toutes les maisons de disques ou de production, soit par volonté d’indépendance une fois revenu de ses rêves broyés d’enfant de la balle. Qui ne souhaite pas en son for intérieur se sentir libre et indépendant ? Qui n’ambitionne pas de n’obéir qu’à sa propre volonté ? Pour qui voler de ses propres ailes n’est pas l’ultime utopie ? En réalité, peu de gens le désirent, encore moins le peuvent.

Être pris en charge, entouré d’une dream team bienveillante, assumant toutes les responsabilités, m’indiquant à tous moments comment faire quoi, gérant tous les rapports ingrats entre mon cloud ouateux et la crowd revêche. Pas le moindre effort, une paix royale, le silence, les agneaux, la chaleur sans les flammes, le bonheur sans les drames.  Voilà à quoi ressemble le paradis pour la plupart d’entre nous non ?

L’indépendance, est-ce le bon choix pour moi ?

Si la chaleur sans les flammes et le bonheur sans les drames vous inspirent dommages et pas le moindre intérêt, il y de grandes chances pour que l’auto-entreprise soit pour vous : une intarissable source de satisfaction avec ses sauts sans filet, ses risques et ses périls, ses nuits blanches et ses jours noirs. Bienvenue dans un monde où l’insécurité domine, la chance et la poisse s’invitent sans rendez-vous et où jamais on ne s’ennuie, ni ferme, ni mollement.

L’intuition, la nécessité ou la ténacité vous a forcé la main à devenir cet auto-entrepreneur courageux ? Comment s’y prendre, à bras le corps, avec ce choix périlleux ? Partons du principe qu’entreprendre est d’aller du point A au point B.

A : où en suis-je ? Quels sont mes atouts, mes manques, les moyens à ma disposition, les connections déjà établies, tous les aspects positifs ou négatifs de ma situation actuelle ? Faire le point, c’est le point de départ, un simple fact check.

B : quels sont mes objectifs ? Mieux on pourra définir ce que sont nos objectifs, plus il sera relativement aisé de les atteindre, et pour aller du point A au point B, une stratégie s’impose.

Qu’est-ce qu’une stratégie d’entreprise ?

Avant d’établir une stratégie propre à sa petite entreprise, posons-nous la question suivante : qu’est-ce donc qu’une stratégie ? Retour sur mon expérience d’administrateur au sein du CA d’une grande entreprise. Je me suis souvent trouvée face à des manageurs visionnaires et charismatiques, habiles et passionnés, excellents vendeurs des bienfaits d’objectifs à atteindre mais incapable d’expliquer par quel processus l’entreprise qu’ils dirigent peut aller du point A au point B. Autrement dit, on comprend où on veut en venir mais pas comment y aller.

La stratégie consiste à créer l’adéquation entre les activités d’une entreprise. Le succès d’une stratégie dépend de la capacité à bien faire plusieurs choses, pas quelques-unes seulement, et à les intégrer entre elles. S’il n’y a aucune adéquation entre les activités, il n’y a pas de stratégie distinctive et peu de pérennité. Le management retombe dans la simple tâche de supervision de fonctions indépendantes et l’efficacité opérationnelle détermine la performance relative de l’entreprise.[2]

Durant ma formation de pilote privé, j’ai appris que piloter un petit coucou monomoteur ou un Airbus revient à appliquer les mêmes principes, qu’il s’agisse d’aéronautique, de physique, de checklists, de météo ou de règlementations internationales. Votre coucou-entreprise ou la multinationale peuplée d’experts ne se débattront pas avec les mêmes armes mais le principe reste le même : pas de performance efficace sans une bonne stratégie.

Un auto-entrepreneur doit avoir La capacité de bien faire plusieurs choses … et à les intégrer entre elles. Et ça, ce n’est pas gagné lorsque qu’on est soi-même auteur, compositeur, performeur, producteur, éditeur, concepteur, communiquant, financier… etc. etc. etc.


[2] Extrait de : Le must de la stratégie, un texte collectif publié par le Harvard Business Review.

Comment un indépendant peut bien faire plusieurs choses ?

Primo : Je ne sais pas tout bien faire alors je me forme et/ou je délègue. Se former permet d’apprendre à mieux faire mais aussi à comprendre comment ça marche. Si je sais de quoi on me parle, je peux mieux déléguer et apprécier à sa juste valeur le travail de ceux à qui je confie une tâche. Déléguer sans comprendre revient à perdre le contrôle de ses affaires. Un auto-entrepreneur conserve à tout prix son indépendance et la flexibilité d’agir si et quand il le souhaite. Le contexte évolue, je me forme en continu.

Secundo : Je préserve la pérennité des droits générés par mon travail et en conserve le contrôle. Ces droits sont perpétuels, les céder l’est aussi. Un artiste en développement peut sans conteste accorder à ses collaborateurs/investisseurs un pourcentage quel qu’il soit pour le temps qu’il faudra mais au terme de cette association, il doit pouvoir récupérer le fruit de son travail. On signe des accords, on évite les cessions. L’indépendance a un coût dont il faut s’acquitter mais le prix de la dépendance est toujours trop cher payé. En début de carrière on porte à bout de bras son travail, en fin de carrière s’est lui qui nous (à bout de souffle) porte.

Tertio : Je me diversifie. La prime jeunesse, la prime valeur, son prime time, ne durent pas. Pour durer il faut tenir bon entre les prime-sommets et les déprime-bas de la vie. Se diversifier c’est parfois faire autre chose mais c’est aussi accepter l’évolution de l’échelle de ses propres valeurs. Qu’est-ce qui m’est cher aujourd’hui et qu’attentent de moi les autres ? Pas toujours compatible. Si le public reste attaché à ma prime-valeur d’hier, respect. Sans trop lorgner ces louanges flatteuses je poursuis ma route.

Auto-entreprendre ou se laisser prendre en main ?

C’est la grande question. Perso, je ne sais pas me laisser prendre en main par les autres. Je n’ai pas cette capacité, cette expérience. J’écoute toujours mon instinct même si j’entends les avis et conseils. Ce modèle d’affaire indépendant m’a convaincue dès le départ. Des interviews précoces le prouvent. Je ne suis pas une rebelle devenue modèle à suivre, j’ai toujours été comme ça. Cela dit, je sais que cette façon de faire n’est pas pour tout le monde. Chacun doit surtout se poser souvent beaucoup de bonnes questions et choisir son modèle en fonction de ses affinités, des accidents ou des opportunités de la vie et de ces belles rencontres qui peuvent à tous moments tout changer. Un brillant entourage autour d’un grand talent dans un monde idéal, cela existe mais, il faut admettre que c’est assez rare et jamais tout à fait constant.