Des effets possibles d’une guerre commerciale sur l’industrie de la musique.

Photo : Diane tell

On connait par cœur la petite mélodie des effets de l’ère numérique sur notre industrie. On entend partout la complainte des artistes et artisans devant ce monstre d’intelligence artificielle qui envahit déjà le monde. Qui peut ce matin anticiper les conséquences réelles sur n’importe quelle industrie d’une guerre commerciale mondiale voulu par un seul homme ? Réflexions sur le nouveau « Jeu vide-égo » du Doctor Nickel & Mister Lies.

Avant de commencer la partie, revoyons certains faits.

Des chiffres

  • En 2023, les revenus mondiaux de la musique enregistrée ont atteint 35,1 milliards de $US.
  • Croissance : 9,8 % par rapport à l’année précédente.
  • Sur ce total, le marché américain a généré 17,1 milliards de dollars, représentant environ 48,7 % du marché mondial.
  • En 2023, le marché mondial de la musique live (selon certaines sources) est évalué à 58,9 milliards de dollars.
  • Le marché américain de la musique live était estimé à 14,26 milliards de dollars en 2024.
  • Il devrait (devait ?) atteindre 15,6 milliards de dollars en 2025. Cela placerait la part des États-Unis entre 24 % et 40 % du marché mondial, en fonction des estimations retenues.
  • Fait : les États-Unis dominent (déjà) le marché de notre petite industrie.

Les Visas d’entrée aux US

  • Depuis le 1ᵉʳ avril 2024, les services de citoyenneté et d’immigration des États-Unis (USCIS) ont augmenté les frais de visa pour les musiciens internationaux de 460 $ à plus de 1 615 $ par demande. (Une dépense de près de 10 000 $ US pour un groupe de 6 personnes, soit 14 000 $ Canadiens avant même d’avoir posé le pied sur le territoire Américain.
  • Une hausse de 250 %. (Pour le coup, Trump n’y est pour rien…)
  • Ces coûts accrus sont combinés à des délais de traitement plus longs.
  • Conséquences : annulation de tournées américaines de groupes ou d’artistes en développement ou « de classe moyenne », faute d’une meilleure expression pour désigner à peu près toute la communauté artistique mondiale hormis les quelques Superstars internationales.

Sources : RIAA, Cognitive Market Research, Mordor Intelligence, Midia Research, Statista.

Déclaration de guerre commerciale

Si cette stratégie est adoptée par l’Amérique de Trump, c’est qu’elle pense y trouver son compte. Le but de cette « opération spéciale » est, on l’aura compris, de promouvoir la production nationale et d’augmenter les recettes fédérales. Le ralentissement économique, la hausse des prix à la consommation, l’escalade des tensions commerciales, l’impact sur les chaînes d’approvisionnement mondiales, les réactions négatives des marchés financiers et du reste du monde, de l’avis de Monsieur Trump, ne sont que de petites perturbations sans conséquences sur cette initiative qu’il qualifie de « Jour de la Libération » et annonçant un « nouvel âge d’or » pour les travailleurs américains. Ok 🙂

Impacts sur l’industrie de la musique

Notre petit milieu a l’habitude de se prendre des bombes sur la tête dès qu’un tremblement planétaire (Covid, Streaming…) fragilise l’édifice humain, alors commençons par les impacts possibles et certainement désagréables.

  • Augmentation du prix des appareils électroniques, voire des abonnements aux plateformes de « streaming ».
  • Augmentation des coûts de production et d’exportation de supports physiques (Vinyles, CD…)
  • Augmentation du prix des instruments de musique et matériel d’enregistrement en provenance du Japon pour les américains et fabriqués aux États-Unis pour le reste du monde si les pays visés par les Tarifs décident d’appliquer des règles « punitives ».
  • Des représailles sous forme de restrictions de visas, l’augmentation des coûts de transport et autres suppléments de dépenses pourraient rendre impossible l’organisation de tournées déjà à peine rentables.
  • Les tensions commerciales pourraient compliquer la perception des droits d’auteur à l’international si certains pays mettent en place des barrières réglementaires contre les entreprises américaines (comme YouTube Music, Apple Music, ou Spotify)
  • Les restrictions sur les transactions financières internationales pourraient ralentir ou compliquer le paiement des droits d’auteur aux artistes et aux compositeurs.

Question ?

Si les tarifs ne sont pas appliqués entre le Canada et les US, est-ce possible de voir apparaitre un marché parallèle pour les instruments de musique en provenance du Japon ? Exemple : les sociétés Yamaha, Akai, Roland ou autres pourraient exporter vers le Canada des produits ensuite vendus aux US comme au bon vieux temps de la prohibition ?

Oui, si l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM, ex-ALENA) reste en place et ne comprend pas de restrictions sur les instruments de musique, les importateurs américains pourraient contourner les tarifs en achetant via le Canada.

Même sans tarifs, les coûts de transport et les marges des intermédiaires pourraient limiter l’intérêt de cette stratégie mais bon, le talent des commerciaux pour contourner les taxes et frais de douane n’a jamais vraiment failli il nous semble…

Un marché parallèle via le Canada est théoriquement possible, mais il dépendra de l’ampleur des tarifs américains, du niveau de surveillance des douanes et des incitations financières pour contourner les règles. Si les tarifs sont élevés et les contrôles faibles, on pourrait voir émerger un phénomène similaire à la Prohibition, mais avec des synthés et des guitares à la place de l’alcool ! Santé les amis !

Solutions alternatives

  • « Fender », « Gibson » « Moog », all made in USA à nouveau? Nouvel âge d’or des instruments faits main ? Pourquoi pas. Luthiers et petits fabricants américains pourraient connaître une forte demande pour des produits « Made in USA », créant un renouveau du marché haut de gamme. Je peux imaginer la maison « Boucher » au Québec prendre des parts de marché importantes à l’international. N’oublions pas que beaucoup de produits conçus par des compagnies américaines ne sont pas fabriqués aux États-Unis. Sans parler des grandes sociétés Hi-Tech dont les sièges sociaux sont établis au Delaware, un paradis fiscal local et/ou dans d’autres zones franches internationales.
  • Une explosion du piratage de logiciels, où les musiciens s’échangeraient des versions crackées de leurs outils de production favoris.
  • Des concerts secrets, organisés dans des lieux discrets et annoncés au dernier moment (un peu comme les raves illégales des années 90).
  • Des « tournées pirates » où des artistes loueraient des bateaux ou des avions privés pour donner des concerts dans des eaux internationales ou à la frontière de pays opposés aux restrictions.
  • Si les prix des instruments flambent en raison des tarifs, les musiciens et ingénieurs pourraient se tourner vers des solutions alternatives, comme la fabrication d’instruments modulaires DIY ou l’impression 3D.
  • Des groupes de hackers et de makers créeraient des kits complets open-source, accessibles à tous, permettant de fabriquer des instruments de qualité pour une fraction du prix.
  • Si les barrières commerciales et les restrictions de visas se multiplient, certains pays pourraient devenir des refuges pour les musiciens, proposant des visas simplifiés, des avantages fiscaux et un accès facile aux outils musicaux internationaux. Des pays comme le Portugal, la Thaïlande ou Dubaï pourraient devenir des hubs internationaux pour les musiciens en quête de liberté artistique. Vive le Fado !
  • Autre possibilité : boom de l’intérêt des fans pour les groupes ou artistes locaux.
  • En gros, je peux vous annoncer d’ores et déjà la naissance d’un beau et grand bordel comme on les aime !

Une guerre commerciale et des tarifs douaniers pourraient provoquer des transformations profondes dans l’industrie de la musique. Certains scénarios pourraient bénéficier aux artistes indépendants (essor du DIY, fabrication et production locales, tournées alternatives), tandis que d’autres pourraient profiter aux grandes marques (comme d’habitude) en verrouillant davantage le marché.

Il est vrai que l’industrie de la musique a toujours su contourner les obstacles et innover face aux crises. Qui sait ? Peut-être que les guerres commerciales donneront naissance à une nouvelle ère de créativité et d’indépendance artistique ! On peut toujours rêver. Personnellement, j’ai toujours cru aux opportunités que peuvent engendrer les crises. Malheureusement, l’esprit créatif n’a pas toujours le dessus sur l’esprit critique du milieu. On préfère se plaindre que de se tordre le cerveau pour chercher des solutions. L’intelligence alternative, les outils informatiques, la débrouillardise humaine sont sources de tant et tant de voies possibles de sortie de crise. Soyons fous ! Pas de cette folie des grandeurs de quelques milliardaires mais d’une folie créative qui donnerait plus de sens à la vie que de goût du profit.