La Tribune – Par Steve Bergeron – le 3 Avril 2022 (Sherbrooke)
Droit devant. Sans doute sont-ce les mots qui décrivent le mieux la prestation que la « bossa d’Abitibi », comme l’a surnommée Fred Fortin sur son plus récent et excellent album Haïku (2019), a donnée au Théâtre Granada. Parce que le menu musical de la soirée ne s’appuyait pas exagérément sur ses tubes, bien au contraire. L’opus benjamin y était bien en évidence, de même que quelques chansons oubliées, avec d’autres provenant d’albums plus confidentiels.
Bref, Diane Tell ne s’assoit pas sur ses lauriers, n’abuse pas de la nostalgie et montre surtout le chemin : toujours créer, se renouveler, multiplier les rencontres artistiques qui nous emmènent vers de nouveaux sentiers, tout en retournant à l’essentiel. C’est-à-dire une femme et sa guitare.
CHANSONS BIEN CHARPENTÉES
C’était la première fois que Diane Tell foulait la scène du Granada, une salle qui l’a visiblement enchantée, lui inspirant notamment quelques blagues, notamment lorsqu’elle se souvenait avoir été présente lors de l’ouverture en… 1928 (1929 en fait). À 45 ans de carrière, la Suissesse d’adoption est comme un poisson dans l’eau sous les projecteurs, discutant avec le public, intégrant Sherbrooke et Granby dans ses quelques improvisations.
La soirée s’amorce avec l’impression que le spectacle sera une sorte de rétrospective, Diane rapportant une chanson de son tout premier album, Les cinéma-bars, avant d’offrir son célèbre Gilberto, puis la chanson-thème du film Bonheur d’occasion, Reste avec moi, big band en moins. Peu importe : les chansons de Diane Tell sont bien charpentées, elles se tiennent solidement dans les arrangements les plus dépouillés, comme le prouvera notamment sa version ultra-cordes de La légende de Jimmy, en deuxième partie de concert.
Mais la chanteuse a tôt fait de monter à bord de Haïku, racontant sa fertile rencontre avec Fred Fortin, offrant Vie puis la chanson-titre dans une atmosphère vaporeuse accentuée par les ultra-graves d’Olivier Babaz jouant de sa contrebasse à l’archet.
C’est toutefois à la sixième chanson, Faire à nouveau connaissance, que la connexion avec la salle s’est véritablement cimentée, l’artiste sortant un as de sa manche, soit un collaborateur de plus, Serge Farley-Fortin, émergeant des coulisses pour la seconder dans les harmonies vocales et la guitare. Leur complicité permettra de détendre, d’une coche de plus, l’ambiance de ce moment déjà très agréable. La lancée se poursuivra avec deux chansons phares de Haïku : Moi fille toi garçon, une des rares chansons pur amour dans le catalogue tellien, puis Evolène, ce village voisin, dans le Valais, qui succombe à une folie carnavalesque une fois par année.
ORIENTÉE VERS LE MEILLEUR
Ce serait mentir de dire que tout était nickel dans la soirée, la voix de Diane laissant transparaître une certaine fatigue. Intensité de la tournée? Le cœur et l’énergie, eux, y sont tout à fait. Aussi, on ne peut que saluer la musicienne de s’être si bien entourée, surtout par la présence de Julien Fillion, qui excelle aussi bien au sax qu’au piano, aux claviers et aux guitares.
Certains auront probablement trouvé aussi que des grands succès ont été boudés (Si j’étais un homme et Souvent longtemps énormément n’ont quand même pas fait défaut), mais on ne peut que saluer bien bas une artiste orientée ainsi vers ce qu’elle considère comme le meilleur, indépendamment de la notoriété des chansons.
La pandémie ayant fait disparaître pratiquement toutes les premières parties de spectacles (les consignes sanitaires obligeant les artistes jusqu’à récemment à tout boucler en 90 minutes sans entracte), c’est aussi d’une grande noblesse, de la part de Diane Tell, d’avoir confié le milieu de sa prestation à Serge Farley-Fortin. Mais quel coït interrompu quand même! Le charisme de la chanteuse est tel que quiconque doit lui succéder a vraiment un vide immense à combler.
Photos sur scène : Philippe Davisseau
Photo sur la scène du Granada après le spectacle : Diane T