Éternelle Diane Tell

La Presse – Édition du 31 mars 2022, section ARTS ET ÊTRE

Par Dominic Tardif

Quarante-cinq ans après la parution de son premier album, en 1977, Diane Tell trouve auprès de plusieurs jeunes autrices-compositrices de nouvelles disciples. Portrait de leur admiration pour une musicienne n’ayant jamais cessé de se renouveler et de groover.

 

Virginie B travaillait en studio pendant les séances d’enregistrement de son récent album INSULA, lorsque le claviériste Daniel Thouin a attiré son attention sur les ressemblances entre son morceau Alpine et le répertoire de Diane Tell. « Il faut que tu retournes écouter son album Entre nous », lui suggère-t-il. C’était le début d’une histoire d’amour entre l’autrice-compositrice de 29 ans et la discographie de la chanteuse iconique.

Son enfance avait certes été bercée par les succès de la créatrice de Gilberto et de Si j’étais un homme – « ça jouait souvent au salon de coiffure de ma mère » –, mais la jeune femme n’avait jamais à ce point été ensorcelée par l’élégance de ses mélodies et la toute-puissance de ses rythmes parfaitement syncopés.

« Je n’avais pas l’oreille de musicienne pour l’apprécier comme je l’apprécie aujourd’hui, mais quelle voix, quel contrôle ! Elle peut tellement monter haut. Et le groove ! Mon Dieu ! Elle n’avait pas peur du groove. Ça faisait longtemps que je cherchais un équivalent québécois à ce genre de musique là. »

– Virginie B, à propos de Diane Tell

Ce genre de musique là ? Avec son triptyque de longs jeux composé d’Entre nous (1979), En flèche (1980) et Chimères (1982), Diane Tell offrait une réplique francophone à un certain type de soft rock californien, hybride de souplesse soul et de suavité jazz, comme le pratiquaient Steely Dan ou les Doobie Brothers, qu’on appelle aujourd’hui communément du yacht rock (ou rock de plaisance).

Flattée

Évidemment flattée que ses cadettes la découvrent, Diane Tell, 62 ans, est d’avis que ce nouvel élan d’enthousiasme pour son œuvre tient grandement à la réhabilitation de ces duveteuses sonorités. « Si je peux diminuer l’effet sur mon ego, je dois dire qu’il y a un petit regain d’affection pour le style de musique que je faisais à mes débuts. Et je pense qu’une bonne partie de ce mouvement vient du fait que la production, les arrangements de ces albums étaient très riches. Ça sonnait au boutte. »

La « maniaque du son » qu’est Diane Tell pouvait difficilement être mieux entourée que sur ces trois disques, où s’illustrent des groupes composites, formés de Québécois et d’Américains. Sur Entre nous, le vénérable jazzman Michel Donato se charge des basses fréquences pendant que Sid McGinnis (plus tard du CBS Orchestra de Paul Shaffer) tient la guitare. Alain Caron d’Uzeb est à la basse sur En flèche et aux tambours, nul autre que Willy Hall, batteur du Theme from Shaft d’Issac Hayes. Sur Chimères ? Paul Brochu, collègue de Caron au sein d’Uzeb, garde le rythme, alors que les cuivres, eux, ont été mis en boîte au mythique studio Power Station de New York, par une cellule tout étoiles de musiciens de gros calibre.

« Au Québec, on sortait de la grande époque de Beau Dommage et d’Harmonium, on était encore beaucoup dans le folk rock, très politisé. Et moi, je n’étais pas politisée pantoute. Le texte venait en deuxième. L’important, c’était de groover, de faire de la musique qui sonnait, avec des musiciens exceptionnels. »

– Diane Tell

Si son répertoire n’a rien de politisé, au sens classique du terme, l’arrivée de Diane Tell sur la scène québécoise aura néanmoins envoyé le signal qu’une femme pouvait tout faire : écrire ses textes, composer ses musiques, chanter (divinement), tout en supervisant de façon étroite tous les autres aspects de l’élaboration de ses albums.

« J’ai fait exprès avec mes quatre premiers disques pour écrire paroles et musiques parce que je voulais vraiment imposer l’idée d’être une auteure-compositrice à part entière, qui n’existait pas vraiment à l’époque », rappelle celle qui devenait en 1980 la première femme à remporter le Félix du Microsillon de l’année/auteur-compositeur-interprète (ancêtre du Félix de l’auteur ou compositeur de l’année).

« J’admire beaucoup comment elle parle, selon sa position de femme, de son désir d’être libre, de s’émanciper », dit l’autrice-compositrice Meggie Lennon, 38 ans, une autre de ses admiratrices.

Elle pointe tout particulièrement la chanson qui ferme Entre nous, Le souffle de la liberté, une ode à l’émancipation ayant beaucoup en commun avec sa propre chanson Jardin, tirée de son onirique album Sounds From Your Lips (2021). « Ce qui m’inspire chez elle, ce que j’admire, c’est qu’elle est en plein contrôle de son art. »

Comme Nadia

Sur scène, Ariane Roy, 25 ans, qui est aussi au nombre des héritières de Diane Tell, reprend régulièrement Souvent longtemps énormément. « My god ! Cette toune-là est incroyable ! », lance celle qui a fait paraître son premier album, medium plaisir, en février dernier. « Il y a quelque chose d’un peu candide dans le texte qui vient tellement me toucher. Et le groove ! Le groove me rappelle Dreams de Fleetwood Mac. »

En plus d’avoir toutes les deux étudié en jazz, Ariane et Diane ont également en commun un flair pour les mélodies aussi raffinées qu’entêtantes.

« Ses chansons ont l’air faciles à chanter jusqu’à ce que tu essaies toi-même de les chanter. C’est un art, ça : parvenir à créer une chanson qui n’apparaît pas complexe, qui est à la fois riche et fluide. C’est encore plus impressionnant que quelque chose d’hyper compliqué, de tape-à-l’œil. »

– Ariane Roy, à propos de Diane Tell

« C’est comme Nadia Comaneci sur la poutre : il faut que ça ait l’air aisé, mais ce ne l’est pas, illustre Diane Tell. Ce qui se passe lorsque c’est trop simple, c’est que ça reste dans la tête, mais au bout d’un moment, l’auditeur se lasse. On se lasse moins facilement des mélodies qui sont non pas compliquées, mais plutôt fraîches, parce qu’elles ont moins de chances de ressembler à autre chose. »

Diane Tell commence les spectacles de sa présente tournée en revisitant les pièces inaugurales (Les cinémas-bars et Le mauvais numéro) de ses deux premiers disques, mais a enregistré son plus récent album, Haïku, avec Fred Fortin, la preuve qu’elle sait honorer son passé tout en regardant vers l’avant.

« Diane, pour moi, c’est le saule de la musique québécoise, dit Virginie B. Dans le sens où c’est une force stable, enracinée, qui dure dans le temps. Ses branches s’en vont partout. »

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