Le Devoir – Les «belles affaires neuves» de Diane Tell

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Dans les propos de Diane Tell, ce nouveau disque danse autour d’une certaine idée de la solitude, d’un rapport à l’autre et au temps qui passe.

Philippe Papineau – – Le Devoir

Après plus de huit ans sans nouvelles chansons — où elle n’a pas chômé pour autant —, Diane Tell n’avait pas envie de se relancer dans la création en enfilant de vieilles pantoufles. Pour ce tout nouveau disque, Haïku, l’Abitibienne qui vit en Suisse a engagé le détonnant Jeannois Fred Fortin comme réalisateur, qui, en plus de signer trois textes, a enrobé l’album de sa touche unique.

La rencontre de ces deux planètes n’est pas superficielle sur ce nouvel album de l’auteure de Si j’étais un homme, Gilberto et Souvent, longtemps énormément. Sur les douze titres d’Haïku, Tell et Fortin ont vraiment mélangé leurs univers respectifs. On retrouve la voix toujours vibrante de la chanteuse, mais elle se drape de musiques syncopées, entre le blues et le rock. « Et le prog », souligne-t-elle.

Assez vrai, d’autant que Fred n’était pas seul dans l’orchestre, mais plutôt accompagné par un groupe d’élite capable de réveiller les morts avec du groove : les guitaristes Joe Grass et Olivier Langevin, le batteur Sam Joly et le claviériste François Lafontaine.

« L’idée, c’est d’aller chercher quelque chose d’unique et d’original, reconnaît Diane Tell. La plupart des gens, sur papier, auraient dit non, jugeant que c’est bizarre. Mais c’était un choix, une réelle envie de… to push the envelop, comme on dit en anglais, d’aller plus loin que les limites déjà atteintes, de ce que moi j’ai pu faire dans ma vie. »

Se mettre en danger, quoi. Tell nuance. « Dans un sens léger, c’est pas dangereux plus que ça. On risque rien, à part trouver des belles affaires neuves ! »

Poreux

Parmi les titres d’Haïku, on trouve trois textes de l’écrivain suisse d’origine serbe Slobodan Despot (mais mis en musique par Tell), quatre pièces de la principale intéressée et trois morceaux écrits et composés par son réalisateur Fred Fortin — dont une, Chat, que l’on trouve aussi sur le dernier disque de Fortin sous le titre King Size.

« On peut faire un album avec un réalisateur qui va réaliser un album de Diane Tell, et on va le chercher parce qu’il est bon et qu’il a fait des hits. Quand on va chercher un artiste, c’est une autre affaire, illustre la chanteuse. C’est presque… c’est pas un duo parce que c’est mon album, mais c’est quand même un mélange. C’est plus poreux. »

Diane Tell explique que si elle a fait plusieurs pas vers le son de Fortin, le réalisateur a aussi eu son bout de chemin à faire. Par exemple, faire un album sans ballades, comme ici Il ne m’aime pas, ou encore la pièce-titre, n’aurait pas été possible, même si ce n’est pas trop l’affaire de Fortin. « Comme je lui disais, les ballades, ça fait partie de la game pour moi. Fais-les comme tu veux, mais il faut qu’elles soient là. »

On peut faire un album avec un réalisateur qui va réaliser un album de Diane Tell, et on va le chercher parce qu’il est bon et qu’il a fait des hits. Quand on va chercher un artiste, c’est une autre affaire. C’est presque… c’est pas un duo parce que c’est mon album, mais c’est quand même un mélange. C’est plus poreux.

Dans ses propos, ce nouveau disque danse autour d’une certaine idée de la solitude, d’un rapport à l’autre et au temps qui passe. Sur Spoiler, Tell parle d’un « parcours fléché / D’amants de grand chemin », alors que sur Vie, elle chante la mélancolie, « une douce maladie / Que j’entretiens et qui me berce ».

Tell a moins cherché des thèmes clairs que « des beaux textes ». Et elle a remarqué que sans consignes en ce sens, les différents auteurs ont souvent laissé tomber « les refrains où on bassine les mêmes phrases continuellement ».

Femme d’affaires

Le résultat, au final, donne quelque chose de différent de ses créations précédentes, mais « de ce qui existe aussi ». « Je me suis rendu compte en rentrant les données sur Spotify qu’Haïku était un album difficile à comparer. »

Euh, Diane Tell, vous entrez vous-mêmes vos données dans la plateforme d’écoute ? « Je suis la productrice, j’ai un distributeur, mais, oui, c’est moi qui fais ça. »

Parce qu’au-delà de la création de musique, Tell est une femme d’affaires bien de son temps, qui a épousé depuis une dizaine d’années les univers numériques. Elle a créé une entreprise pour chapeauter ses droits musicaux, et elle a mis plusieurs années à mettre en marché sa musique en ligne méthodiquement, en rematriçant les morceaux pour les nouvelles plateformes, notamment.

Diane Tell est aussi bien présente sur YouTube, et y a même téléversé de nouvelles vidéos créées à partir de ses anciennes chansons, question d’y exister pour la peine. « On est déjà à 10 millions de vues sur notre chaîne », dont plus de 8,7 millions uniquement pour Si j’étais un homme, ajoutée il y a un peu plus de deux ans.

Haïku verra par ailleurs le jour en vinyle, avec une pochette dans laquelle on retrouvera les textes en français, mais aussi en anglais. « Pourquoi on ne pourrait pas écouter de la musique québécoise francophone et l’offrir aux personnes qui ne parlent pas notre langue, avec la possibilité de comprendre ? »

Selon la chanteuse, les musiciens, sans être naïfs, doivent épouser le numérique et aussi en connaître les rouages à fond. « Il faut prendre ce monde-là en main et se demander où va l’argent et pourquoi il ne va pas dans ma poche. Et battons-nous pour ça. »

Elle conçoit que le nerf de la guerre ce sont les clics, mais qu’il faut plutôt encourager le public à s’abonner aux plateformes d’écoute en continu plutôt que de vouloir les saborder.

« Dans les années où j’étais au sommet de ma carrière, les gens achetaient en moyenne deux ou trois albums par année. Aujourd’hui, quelqu’un qui s’abonne met 120 $ sur la table par année. Il y a de l’argent qui rentre, maintenant il faut le répartir correctement. »

 

Haïku

Diane Tell, Tuta Music. Disponible le 4 octobre.